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Prévention et Santé 25 octobre 2017

Ralentir le déclin mental chez les personnes âgées

Le nombre de personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer et d’autres troubles de démence augmente malheureusement en même temps que s’accroît le nombre de personnes âgées dans le monde. Sur les bases de la tendance actuelle, le nombre d’individus atteints de démence devrait doubler tous les 20 ans, près de 60 % d’entre eux habitant dans les pays à bas ou moyens niveaux de revenus. D’ici 2050, la démence pourrait toucher plus de 130 millions de personnes dans le monde, et coûter plus de 1000 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie.

Une grande quantité de moyens ont été investis pour développer des médicaments susceptibles de contrer la progression des maladies neurodégénératives, mais la tâche s’avère plus difficile que prévu initialement, compte tenu du fait que ces pathologies sont très complexes, et dépendent d’une multitude de facteurs. Existe-t-il cependant des moyens simples de réduire le déclin cognitif chez les personnes âgées ?

Miia Kivipelto, professeur au Department of Neurobiology, Care Sciences and Society du Karolinska Institutet, en Suède, pense que oui. Kivipelto est aussi chercheuse pour AXA et co-auteur du récent rapport paru dans Lancet Neurology intitulé « Defeating Alzheimer’s diseases and other dementias: a priority of European science and society » (Vaincre la maladie d’Alzheimer et les autres troubles de démence : une priorité pour la science européenne et la société.).

Avec ses collègues, elle a développé des modèles pour évaluer le risque pour un individu de développer un trouble de démence, quels mécanismes sous-tendent la maladie, et comment ces derniers peuvent peut-être être atténués grâce à une série de mesures simples, comme des modifications des habitudes de vie. Des changements incluant un régime alimentaire plus sain (pour réguler la pression artérielle et le taux de lipides dans le sang, par exemple), de l’exercice physique et de la stimulation cérébrale.


Identifier les facteurs de risque importants de démence tardive

Kivipelto a piloté l’Etude du Finnish Geriatric Intervention Study to Prevent Cognitive Impairment and Disability (FINGER), qui a évalué des effets sur le fonctionnement du cerveau de quelques-uns des facteurs de risque les plus importants de démence tardive (comme un indice de masse corporelle (IMC) élevé, et la santé cardiovasculaire). FINGER était le premier grand essai contrôlé randomisé multi-domaine au monde, et nous avons évalué simultanément plusieurs facteurs de risques pour déterminer le meilleur effet préventif, explique Kivipelto. Nous avons étudié 1260 individus issus de toute la Finlande, âgés de 60 à 77 ans, sur une période de deux ans. La moitié de ces individus ont été affectés de façon aléatoire au groupe actif, et l’autre moitié à un groupe de contrôle.

Tous les participants à l’essai ont été jugés comme présentant un risque accru de démence, c'est-à-dire qu’ils totalisaient un Score de Risque de Démence supérieur à 6, et affichaient un niveau cognitif égal ou légèrement inférieur à la moyenne attendue pour une personne de leur âge.

Profil d'essai

Profil d’essai (CERAD : Consortium to Establish a Registry for Alzheimer’s Disease. mITT : modified intention-to-treat). © The Lancet


Manger sain

Le groupe de contrôle n’a bénéficié que de conseils santé « standards », tandis que le groupe actif a bénéficié d’un programme complet d’alimentation saine, d’entraînement musculaire et cardiovasculaire, et d’exercices d’entraînement cérébral. Par exemple, les conseils en alimentation saine étaient basés sur les Recommandations Nutritionnelles Finlandaises (qui, comme par hasard, sont très proches du régime méditerranéen) – Voir tableau.

Les participants considérés en surpoids au début de l’essai étaient encouragés à perdre entre 5 et 10 % de leur masse corporelle en réduisant le nombre de calories ingérées. Tous les sujets ont également été invités à manger des fruits et légumes en quantité, et à choisir de préférence des aliments complets plutôt que raffinés, ainsi que des produits laitiers pauvres en matières grasses. Ils ont aussi été incités à limiter leurs apports en sucre à moins de 50 g/jour et à utiliser de la margarine végétale et de l’huile de colza plutôt que du beurre. Ils devaient aussi manger du poisson au moins deux fois par semaine.

Tester le régime Finlandais.


Exercice physique et mental

En ce qui concerne l’activité physique, les participants ont suivi une version modifiée du régime Dose Responses to Exercise Training (DRs EXTRA) (un autre grand essai contrôlé randomisé mené en Finlande sur les effets de l’activité physique) et ont été contrôlés par des physiothérapeutes dans le gymnase. L’exercice comprenait un travail progressif de la puissance musculaire (1 à 3 fois par semaine) et des exercices d’aérobic (2 à 5 fois par semaine). L’exercice d’entraînement de la puissance musculaire était focalisé sur les principaux groupes de muscles (genou, abdominaux et dorsaux, le haut du dos, les muscles des bras et des membres inférieurs)

Les exercices cognitifs, encadrés par des psychologues, étaient conçus pour cibler les modifications intellectuelles liée à l’âge, à savoir la mémoire et la réflexion associées aux activités du quotidien. Des sessions individuelles incluant des entrainements sur ordinateur à domicile ou sur le lieu de l’essai, ont été menées pendant deux périodes de six mois, chaque période comprenant 72 sessions d’entrainement (trois fois par semaine, chaque session durant environ un quart d’heure). Le fonctionnement « exécutif » (la façon dont le cerveau organise et régule les processus de pensée) a aussi été évalué avec des tests mathématiques et verbaux, ainsi que la mémoire de travail (tâches de maintenance), la mémoire épisodique (tâches relationnelles et spatiales) et la rapidité mentale (les participants devaient associer des formes, par exemple).

illustrations de l'étude Finger

Illustrations de l'étude FINGER (Kiitos signifie Merci en suédois). © National Institute for Health and Welfare (THL)


Principaux résultats

Les médecins, infirmiers et autres personnels de santé ont rencontré régulièrement les participants de l’essai durant ces deux années. A la fin de cette période, leurs capacités mentales ont été mesurées à l’aide d’une Batterie de Tests Neuropsychologiques – un test standardisé pour évaluer différentes capacités cognitives. Leur pression artérielle, poids et IMC, tour de hanche et tour de taille, ont également été relevés.

Les résultats globaux ont montré une amélioration notable de 25 % des capacités cognitives par rapport au groupe de contrôle, selon les chercheurs, et pour certains aspects de l’essai, l’écart même avéré très supérieur. Par exemple, les résultats concernant le fonctionnement exécutif ont affiché une impressionnante hausse de 83 % pour le groupe actif, et de 150% de la rapidité mentale. Les chercheurs ont également noté une amélioration de la pression artérielle et de l’indice de masse corporelle des participants.

evolution des performances cogntivies

Evolution moyenne estimée des performances cognitives des participants au début de l’expérience (la référence), à 12 mois, et à 24 mois (un score élevé est associé à un bon résultat). NTB : Batterie de Tests Neuropsychiatriques. © The Lancet


Les facteurs de risques sont différents à la quarantaine et aux âges plus avancés

Carol Brayne, du centre de recherche Cambridge Neuroscience de l’Université de Cambridge au Royaume-Uni, qui n’était pas impliquée dans ces essais, estime qu’une bonne partie des facteurs de risque de développer un trouble de démence sont particulièrement importants à la quarantaine, avec une évolution des modes de risque quand les personnes avancent en âge. « Les études de modélisation, qui essaient d’analyser les facteurs de risque les plus élevés et leurs corrélations, montrent que 30 % des cas de maladies d’Alzheimer diagnostiqués cliniquement pourraient être attribués aux sept principaux risques récemment identifiés par une vaste étude systématique. Nous avons aussi une preuve empirique que la prévalence et l’incidence décroissent dans certaines classes d’âge dans certains pays, mais les raisons de cette diminution n’ont pas encore trouvé d’explication scientifique claire. La seule façon de tester à quel âge et dans quelle mesure le risque et les mesures préventives sont déterminants dans le fait de développer (ou non) un trouble démentiel est de se retrousser les manches et de réaliser des essais cliniques.

 Ces essais pourraient être des essais individuels traditionnels, comme dans les travaux de l’équipe de Kivipelto, mais ils pourraient aussi être menés sur des populations ou des communautés entières en observant l’évolution de l’environnement sur le comportement. Les essais sur les personnes âgées, comme celui décrit dans cet article, peuvent être menés dans un délai raisonnable et peuvent suivre des profils à risque maximal et ensuite la progression de la démence avec un suivi un peu plus étendu. Une gamme de modèles expérimentaux est nécessaire, et Kivipelto et ses collègues, en lien avec le Consortium Européen de Prévention de la Démence, ont joué le rôle de pionniers en la matière. Ce n’est pas facile : les essais peuvent être critiqués, et leurs résultats difficiles à interpréter complètement (dans la mesure où ils sont encore peu nombreux), mais ils sont très importants pour le futur.

 J’aimerais aussi ajouter que les différences observées selon les générations dans certains pays et dans certains modèles de démence pourraient aussi être liées à des paramètres précoces, comme la santé maternelle, une meilleure nutrition et des soins de santé pendant l’enfance, en combinaison avec un niveau d’éducation plus élevé. Ces facteurs sont beaucoup plus difficiles à étudier, et nous devons chercher des comparaisons à travers la géographie, le temps et les cultures pour voir comment nous pouvons les appréhender. »

Michael Valenzuela, du Groupe de Neuroscience Régénérative au Centre Cerveau et Esprit et à l’Ecole Médicale de Sydney ajoute « L’essai FINGER a été important, car il a montré que des changements des modes de vie peuvent, en principe, ralentir le déclin cognitif chez les personnes sujettes à la démence. Néanmoins, ce n’est pas la même chose de prévenir ou de ralentir la démence, et un suivi sur un temps plus long, complété par des résultats d’autres essais, permettront de clarifier ce point essentiel. Curieusement, les résultats de FINGER étaient beaucoup plus faibles que ce que les études sur l’intervention des habitudes de vie individuelles pouvaient laisser espérer, et on peut se poser la question sur la façon dont on peut combiner différentes modifications des habitudes de vie pour exploiter leurs bénéfices. »


Aller plus loin

Kivipelto et ses collègues, qui ont publié leur essai FINGER dans The Lancet suivent maintenant les participants (et continueront de le faire pendant au moins 6 ans) pour voir si le recul du déclin cognitif entraine effectivement une baisse du nombre de participants atteints de démence ou de la maladie d’Alzheimer. Ils affirment qu’ils cherchent aussi à clarifier les différents mécanismes sous-jacents aux améliorations observées des fonctions cérébrales.

Les chercheurs ont aussi développé la première application pour téléphone mobile basée sur les résultats d’un essai précédent, baptisée CAIDE (Cardiovascular Risk Factors, Aging, and Incidence of Dementia). L’application qui calcule le risque de développer un trouble de démence dans les 20 années suivantes en fonction du poids, du taux de cholestérol, de la pression artérielle, de l’activité physique et du niveau d’éducation, peut être téléchargée gratuitement sur un iPhone ou iPad. Elle existe en deux versions : une pour les médecins, une autre pour les particuliers. Elle est disponible en 5 langues : Allemand, Français, Espagnol, Russe, et Anglais. D’autres langues seront prochainement disponibles. 

« Le plus important risque de développer une démence est lié au grand âge. De vastes études épidémiologiques ont montré que ce qui est bon pour le cœur, est aussi bon pour le cerveau », déclare Kivipelto. « Autrement dit, un mode de vie sain basé sur une activité physique, un faible taux de cholestérol, l’absence de surpoids, et une pression artérielle normale à la quarantaine, protège non seulement des maladies cardiaques, mais aussi de la démence ».


Miia Kivipelto, professeur au Department of Neurobiology, Care Sciences and Society du Karolinska Institutet, en Suède.

M. Kivipelto a reçu de nombreuses récompenses prestigieuses, dont le prix Waijliy et Eric Forsgren pour la compréhension de la démence (2015), le prix « Best PI at KI » (meilleure thèse du Korolinska Institute) en collaboration avec Nature (2014), et le prix AXA de la recherche (2014). En 2016, elle a reçu le prix de la Fondation Alzheimer pour l’excellence de la recherche.© Stefan Zimmerman


Source : http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actu-ralentir-le-declin-mental-chez-les-personnes-agees-37123.php

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