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Aidants 10 mars 2021

Que nous apprennent les aidant.es ?


Nous avions récemment recueilli les témoignages de trois aidant.es : Anna, Pierre et LilianeAu-delà du vécu propre à chacun, il nous semble intéressant de mettre en exergue les grandes problématiques que ces expériences révèlent. Pascal Jannot, président fondateur de La Maison des Aidants®, vice-président du Collectif Je t'Aide, a répondu à nos questions.


ANPERE :

Que nous apprennent Anna, Pierre et Liliane au travers, et au-delà, de leurs témoignages personnels ?

Pascal Jannot :

En seulement trois témoignages, ces aidant.es mettent le doigt sur des points fondamentaux qui traversent toute la question sociétale de l'aidance.

 

On retrouve au fil de leur récit des thèmes tels que :

  • la charge supportée par l'aidant.e,
  • les désaccords ou incompréhensions avec les institutions,
  • l'aidant.e isolé.e et épuisé.e qui s'ignore,

 

mais aussi en filigrane les thèmes  :

  • de la maltraitance,
  • du sentiment de culpabilité,
  • du manque de places au sein de l'hôpital...
  • … et des risques non maîtrisés du retour à domicile qui en découlent.

 

ANPERE :

Cela fait beaucoup de choses en effet...  chacune de ces questions mériterait à elle seule un développement. Par quel problème souhaitez-vous commencer ?

 

Pascal Jannot :

Celui de la charge supportée par l'aidant.e me semble être un bon point de départ.

Bien que la charge ressentie par l'aidant.e soit une question en partie subjective (1), dans le cas de Liliane la charge objective est très importante du fait de la perte totale d'autonomie de son mari. Malgré les aides à domicile, Liliane doit être sur tous les fronts, de jour comme de nuit.

Rappelons qu'en France, on considère que globalement 30 % de l'aide nécessaire est apportée par des services, et 70 % repose sur l'aidant.e.

De plus, comme en témoigne Liliane, accepter les aides extérieures n'est pas une chose facile pour l'aidant.e.

 

ANPERE :

Cela serait-il lié au sentiment de culpabilité que vous évoquiez ?

Pascal Jannot :

Absolument. L'aidant.e inconsciemment se sent coupable d'être en bonne santé alors que son proche est malade. En finir avec le sentiment de culpabilité est l'un des objectifs les plus importants sur lesquels nous travaillons en ateliers pour lutter contre l'épuisement des aidant.es. Liliane a pris du recul et reconnaît aujourd'hui qu'elle n'aurait pas dû attendre d'être au bout de ses limites pour demander plus d'aide.

Au sentiment de culpabilité s'ajoute très souvent l'isolement de l'aidant.e.

Les pouvoirs publics adaptent la législation aux conséquences de la longévité mais n'adressent pas encore suffisamment le message selon lequel la perte d'autonomie est aujourd'hui une composante  de nos sociétés. Chacun.e se sent donc «un cas à part», et en quelque sorte obligé de faire face tout seul, souvent dans un grand isolement.

Bien sûr le sentiment de culpabilité est une question individuelle, mais qui s'inscrit dans un contexte social qui ne favorise pas la prise de conscience collective d'une condition partagée par 11 millions de français.es.

Or se sentir seul.e, ou savoir que l'on partage la même situation avec des millions d'autres personnes, cela change beaucoup de choses dans le positionnement de l'aidant.e face à son rôle. Nous le voyons très clairement à la fin de nos ateliers : lorsque le sentiment de culpabilité et d'isolement est tombé, l'aidant.e accepte d'être davantage aidé.e.

 

ANPERE :

Le sentiment de culpabilité contribuerait donc à l'épuisement de l'aidant.e ?

Pascal Jannot :

Oui, il joue un rôle majeur dans le processus d'épuisement de l'aidant.e. On le voit bien dans le cas du père de Pierre. Il a soigneusement caché à sa famille la maladie de son épouse et a tout assumé car pour lui le lien du mariage implique cela. C'est une croyance qui peut avoir des conséquences désastreuses pour la santé de l'aidant.e.

Il faut faire accepter qu'aimer et aider l'autre implique de rester soi-même en bonne santé. Et que ce n'est pas trahir que de demander de l'aide, au contraire. 

Nous travaillons beaucoup autour de cela en ateliers avec les aidant.es, mais il faudrait aussi que le message passe au niveau de la société tout entière ! C'est pour cela que le Collectif Je t'Aide mène des campagnes au travers d'affiches dans les villes : il s'agit bien de faire connaître et reconnaître les aidant.es par la société, mais aussi de les faire se reconnaître eux-mêmes en tant qu'aidant.es.

Aujourd'hui, grâce à la médiatisation de la question des aidant.es, 48% des français connaissent le terme «aidant» (ce qui ne signifie pas qu'ils savent réellement tout ce qui découle du rôle d'aidant.e),  mais six aidant.es sur dix ne se reconnaissent pas en tant que tel.les, selon le «baromètre 2020 des aidants» de la fondation April.

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ANPERE :

Tous les aidant.es ne connaissent pas la culpabilité ou l'épuisement cependant ? Anna et Pierre ne sont pas dans ce cas par exemple.

 

Pascal Jannot :

Et heureusement !

Mais les cas d'Anna et Pierre révèlent d'autres problèmes.

L'une et l'autre n'ont été aidant.e que peu de temps. Mais ils ont été là pour éviter des situations à haut risque. Notamment, dans les deux cas, le risque d'un retour à domicile après hospitalisation, sans aucune préparation.

Anna a dû batailler pour que sa mère trouve une solution de suite, mais n'a pas réussi à lui faire intégrer le service approprié de soins palliatifs comme elle l'aurait souhaité.

Et si Pierre ne s'était pas démené, sa mère rentrait à domicile sans aucune organisation prévue, alors que son père était déjà épuisé.

Dans les deux cas, le retour à domicile, présenté comme positif et parfois idéalisé, masquait l'incapacité institutionnelle à trouver une solution adaptée. Des solutions n'ont été trouvées que sous la pression de ces deux aidants.

 

Leur expérience rappelle en outre qu'à un niveau ou un autre, nous sommes tous amenés à être un jour aidant.e, sans y être préparés. Le rôle des aidant.es en tant que lien avec les institutions, et même comme dans les cas d'Anna et Pierre, en tant que défenseur des intérêts de leur proche, est un rôle méconnu et pourtant très important.

 

ANPERE ;

Et tous les deux (Anna et Pierre) se sont heurtés à des questions de procédure...

 

Pascal Jannot :

Oui, ils ont dû affronter des désaccords sur la suite à donner comme on vient de le dire, mais ils se sont heurtés aussi à la question des procédures.

Pour Anna, il a fallu prouver en quelque sorte que sa mère relevait bien des soins palliatifs, et qu'elle était d'accord pour entrer dans ce service. Or, les jours de sa mère étaient comptés, et le temps passé en procédures n'a pas permis à celle-ci de terminer sa vie dans un service adapté.

On comprend l'amertume d'Anna à ce sujet.

 

Pour Pierre, le désaccord avec la direction de l'Ehpad sur la question des directives anticipées (2) montre comment les meilleures intentions peuvent vite laisser la place à de simples formalités, dévoyées de leur but. Pierre, bien informé, a eu raison de ne pas céder sur ce point, même si cela n'avait pas de réelles conséquences. C'était une question de principe, qu'il a tenu à défendre.

 

Et j'ajouterais aussi le cas de Liliane, à propos du signalement de soupçon de maltraitance. 

Bien malgré elle, Liliane a déclenché une procédure contre elle-même.

Ici il y avait de la part de l'aide-soignante non pas un constat de maltraitance, mais le souci de se prémunir au cas où l'incident relaté serait révélateur d'une situation de maltraitance...

 

ANPERE ;

La maltraitance est une réalité sociale cependant...

 

Pascal Jannot :

Oui, et c'est un drame silencieux contre lequel il faut lutter. Il faut signaler que la plupart des cas de maltraitance envers les personnes âgées ou handicapées ont lieu à domicile. Et il est vrai aussi que l'épuisement de l'aidant.e peut conduire à de la maltraitance inconsciente.

Les personnels de l'aide à domicile sont très sensibilisés à cette question. C'est sans doute ce qui explique la réaction de l'aide-soignante, qui a consisté à signaler un soupçon de maltraitance de la part de Liliane.

On peut comprendre la position de cette professionnelle qui a préféré ne pas risquer passer à côté d'une situation de maltraitance. Mais dans ce cas précis, on pouvait s'attendre de la part de sa hiérarchie à un peu plus de recul... Au lieu de cela, Liliane s'est vue pratiquement accusée, alors que l'incident était réellement mineur et ne relevait pas de la maltraitance.

On ne peut qu'encourager la vigilance des professionnels de l'aide à domicile sur cette question ... Mais ici, comme le dit Liliane, c'est un événement décontextualisé et reporté sur un document administratif qui a abouti à un malentendu pénible pour l'aidante. Celle-ci a d'ailleurs fait observer à la responsable du SSIAD* que des petits actes de maltraitance avaient lieu tous les jours de la part des services...

C'est de toute façon une question complexe (3).

 

ANPERE :

Tout cela montre en tout cas qu'être aidant.e conduit à être sur de nombreux fronts à la fois...

 

Pascal Jannot :

Oui et c'est bien tout cela justement qu'il faut parvenir à faire mesurer à notre société.

Nombreux sont les aidant.es qui disent être autant épuisé.es par les incompréhensions avec les institutions que par l'aide qu'elles/ils apportent.

Des d'efforts sont faits pour sensibliser les professionnels de l'aide et du soin à ce que signifie «être aidant.e». Mais il reste encore vraiment beaucoup à faire pour que ces deux mondes se comprennent et se complètent...


            * SSIAD : service de soins infirmiers à domicile

(1)  Lire notre article « La charge ressentie par l'aidant.e»

(2)  Lire notre article « Faire connaître et respecter ses volontés en cas de perte   d'autonomie »

(3) Lire notre article «Maltraitance des personnes âgées : une violence multiforme»

(4) les témoignages de trois aidant.es : Anna, Pierre et Liliane.


ARTICLES N° 55 ET 56 -  ANPERE / LA  MAISON DES AIDANTS

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