Dans la première partie de cet article, nous évoquions la notion de limites de l'aidant, et surtout le risque de dépassement de ces limites. Dans ce second volet, nous tenterons de comprendre pourquoi et comment tant d'aidant.es vivent des situations qui les conduisent au renoncement d'eux-mêmes, au sacrifice ou à l'épuisement. Nous envisagerons ce qui est le plus important : comment prévenir ces situations, et comment y remédier si l'une d'elles s'est installée.
Des liens différents et des durées d'aide variable
Être aidant.e d'un proche recouvre de nombreuses situations qui se distinguent tout d'abord par le lien familial ou affectif entre celui/celle qui aide et celui/celle qui est aidé.e
C'est ainsi que l'on peut être par exemple :
- un parent aidant de son enfant malade ou handicapé (y compris enfant adulte)
- un conjoint (ou partenaire de vie) aidant,
- un enfant aidant de son parent,
- un jeune aidant de son parent ou d'un membre de la fratrie...
Ce lien pré-existant va induire des formes différentes d'investissement mais aussi des durées très variables dans l'aide. Si l'on prend deux exemples extrêmes, un parent aidant est souvent engagé à vie auprès de son enfant, alors qu'un enfant aidant d'un parent très âgé va aider sur une période généralement assez courte.
Dans un «groupe d'échange entre aidants» (*) accompagnés par la Maison des Aidants® :
- Jean-Pierre, jeune retraité, est aidant de sa mère atteinte de la maladie d'Alzheimer depuis deux ans, Il va la voir chaque jour, s'occupe de ses courses, et vérifie ce qu'elle a mangé. Il s'est aussi fait un devoir de l'amener en sortie les week-ends.
Dans son propre foyer, le climat s'est dégradé avec son épouse, du fait de son manque de disponibilité. Les projets qu'avait envisagé le couple pour la retraite ne sont plus à l'ordre du jour.
- Line est aidante de sa fille de 16 ans, handicapée depuis la naissance, Elle a toujours refusé de la faire entrer dans une Maison d'accueil spécialisée. Elle assume donc seule tout ce que ferait un ensemble de professionnels pour prendre soin de sa fille.
- Madeleine est aidante de son époux devenu handicapé suite à une maladie, depuis sept ans.
Au fur et à mesure de l'aggravation de l'état de santé de son mari, Madeleine s'est adaptée, jusqu'à se former pour effectuer les dialyses nécessaires à celui-ci. Les soins requis, entre maladie et handicap, accaparent toutes ses journées, sans trêve.
- Vincent est aidant de son épouse atteinte d'un cancer depuis trois ans. Il l'accompagne dans ses rendez-vous à l'hôpital pour ses traitements, et prend en charge à lui seul tout le travail domestique. Il a réduit son temps de travail professionnel.
Il ne souhaite pas faire appel à des aides extérieures, bien qu'avec les diverses complications de l'état de santé de son épouse, la charge qui pèse sur lui soit de plus en plus lourde.
Ces quatre aidants, respectivement
- enfant-aidant,
- parent-aidant
- et conjoint-aidant,
avec des durées variables dans l'aide apportée, présentent tous les quatre le même tableau d'épuisement.
Le dépassement des limites ne dépend donc ni du type de lien, ni de la durée de l'aide.
Des contextes différents de survenue de la perte d'autonomie
La perte d'autonomie de la personne aidée peut-être :
- croissante comme dans le cas des maladies chroniques ou évolutives, avec un côté imprévisible de l'évolution,
- progressive, avec une évolution plus régulière mais aussi plus prévisible, comme dans le cas de l'avancée en âge accompagnée de maladies neurodégénératives (Alzheimer ou maladies apparentées),
- brutale, comme par exemple à la suite d'un accident (de la route, de santé : infarctus, AVC, ou de toute autre circonstance).
Tout comme est brutale aussi la révélation d'un handicap à la naissance d'un enfant.
C'est ainsi que dans le «groupe d'échange entre aidants» (*) déjà évoqué :
- Jean-Pierre fait face à une perte d'autonomie progressive,
- Line a fait face à la révélation brutale du handicap de sa fille à la naissance, et a continué à faire face au fil des années,
- et Madeleine et Vincent sont dans une situation d'aide croissante.
Ils partagent, nous l'avons vu, le même sentiment de n'avoir plus aucune vie en dehors de celle d'aidant.e. Ce n'est donc pas non plus le contexte de survenue de la perte d'autonomie qui semble faire une différence. L'âge n'est pas non plus un facteur déterminant, puisque ces aidants ont de 48 ans à 81 ans.
Où faut-il alors chercher l'origine du processus qui a conduit chacun de ses aidants à dépasser ses limites au point de tomber dans ce qui ressemble, selon le cas, à de la dépression, à du burn-out, ou à un sentiment de vie sacrifiée ?
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ARTICLE N° 37 MARS 2020 LA MAISON DES AIDANTS/ANPERE