S'il est vrai que l'on préfère parler aujourd'hui de perte d'autonomie que de dépendance, il n'en reste pas moins que l'avancée en âge conduit souvent, dans diverses mesures, à être tributaire d'autrui : besoin de l'autre pour les actes de la vie quotidienne, pour les déplacements, pour les soins etc... L'aide prodiguée par l'entourage ou les professionnels est accomplie le plus souvent avec bienveillance, mais est-elle toujours accompagnée de tact, d'écoute et de compréhension pour la personne qui en fait l'objet ?
Dans la première partie de cet article (Bienveillance n'est pas toujours bientraitance ), nous avons vu que la bienveillance de l'aidant ne suffit pas toujours à assurer au proche aidé un accompagnement bientraitant.
Nous aborderons dans cette seconde partie quelques clés qui permettent de faire évoluer la bienveillance vers une authentique bientraitance.
Remettre en question quelques convictions
La bienveillance se réfère à l'intention de l'aidant.
La bientraitance se mesure au ressenti de l'aidé.
Les deux notions ne concordent pas toujours exactement.
La bienveillance, c'est ce que l'aidant croit bon pour l'aidé. Mais bien que partant d'un bon sentiment, la bienveillance peut conduire à une projection de la volonté de l'aidant sur l'aidé, sans que ce dernier ait à s'exprimer sur la question.
La bientraitance c'est œuvrer au quotidien au bien-être physique et mental de la personne aidée, en concertation avec celle-ci. Pour l'aidant, cela appelle à développer des qualités de tact, d'écoute, de compréhension... et aussi de remettre en question certaines convictions.
Par exemple l'habitude que nous avons de dire «si j'étais à ta place, je ferais telle ou telle chose» peut être remplacée par une autre attitude : celle de se demander «si j'étais à sa place, comment accepterais-je telle ou telle chose?»
La considération due à chacun, et en particulier à la personne âgée, ne doit pas rester une notion abstraite, mais se mettre en pratique dans les détails les plus banals de la vie quotidienne. Ainsi, reconnaître les désirs, les attachements, les habitudes de la personne âgée c'est respecter sa singularité, son individualité, le temps qu'elle a mis à se construire dans son identité.
Être dans une attitude d'écoute de ses craintes ou de ses soucis mais aussi de ses plaisirs ou de ses préférences, c'est permettre à la personne une expression libre, sans la crainte d'être jugée, de subir des reproches, voire d'être culpabilisée.
De l'intention bienveillante au comportement bientraitant
Dans l'article précédent, nous avons illustré cinq situations de la vie quotidienne. Nous vous proposons un retour sur ces situations après que ces aidants aient pris conscience, dans le cadre d'un atelier, des notions que nous venons d''aborder.
- François ne dit plus à son père «tu vas avoir un accident», mais cherche à le faire s'exprimer sur ce que représente pour lui la conduite et la voiture. De cet échange découleront des solutions concertées entre François et son père pour concilier autonomie et sécurité.
- Chantal ne dit plus à sa mère de se «débarrasser des vieilleries» mais l'incite à évoquer la valeur affective des objets qui l'entourent, les souvenirs et habitudes qui y sont liés. Chantal réalise que la valeur des objets ne se limite pas à leur utilité mais que c'est une notion très empreinte d'affectivité.
- Catherine qui incitait son père à choisir un Ehpad dans la ville où elle réside, discute avec lui des motifs qui lui font préférer l'Ehpad de la ville où il a toujours habité. Ils recherchent ensemble la solution présentant le plus d'avantages et le moins d'inconvénients.
- Jérôme, gêné par la relation que sa mère semble avoir nouée, a pris conscience que celle-cin'est pas seulement une vieille dame, mais une femme qui continue d'avoir une vie qui lui est propre.
- Clarisse s'est prêtée à un jeu de rôle : elle s'est représentée ce qu'il lui en coûterait, dans 25 ans, de laisser la maison où ont grandi ses enfants. Elle les a imaginés, devenus quinquagénaires comme elle, lui dire que les souvenirs ne valent pas la peine de risquer une chute dans les escaliers...
Ces aidants ont pris conscience que la bientraitance va au-delà de la bienveillance. Comme l'a fort bien résumé l'un d'eux, «l'enfer est pavé de bonnes intentions»... et vouloir pour l'autre, fut-ce avec les meilleurs sentiments, est une forme de violence. Une violence qui passe inaperçue car elle est amortie par le silence de la personne âgée qui la subit.
ARTICLE N° 25 1-2 OCTOBRE 2019 LA MAISON DES AIDANTS / ANPERE