Nous arrivons au terme de notre voyage aux côtés des familles d'aidant.es.

Parent, enfant, conjoint, salarié, jeune, multi ou à distance, nous avons pu entrer dans la diversité des relations et des formes de l'aidance. 

Nous avons vu ce qui rapproche et ce qui différencie ces familles d'aidant.es. 

Nous avons appréhendé les difficultés spécifiques à chaque famille. 

Nous avons pu constater que les mesures d'accompagnement ne sont pas identiques en fonction de la famille d'aidant.es à laquelle on se réfère.

Nous avons aussi fait le constat qu'un.e même aidant.e peut appartenir à plusieurs familles.

Nous espérons avoir contribué à une meilleure connaissance des aidant.e.s à défaut d'une re-connaissance qui peine encore à être établie dans notre société.

Nous avons souhaité dédier ce dernier article de la série à une figure particulière d'aidant.e. Nous l'avons appelé « l'aidant.e mistigri ».

Certain.es s'y reconnaitront… 


Qu'est-ce que l'aidant.e mistigri ?

Dans le jeu du mistigri, le perdant est celui qui se retrouve à la fin de la partie avec cette carte fatidique. 

Chaque joueur a pu tirer son épingle du jeu... mais lui se retrouve avec le mistigri.

L'aidant.e implicitement désigné.e par les autres pour exercer ce rôle se retrouve un peu dans cette situation.

On entend par aidant désigné celui qui face à la perte d'autonomie d'un proche, va se retouver malgré lui à devoir exclusivement  endosser le rôle d'aidant. C'est en quelque sorte le paradoxe du désigné volontaire. La famille d'aidant.es la plus exposée à cette situation est celle des fils/filles aidant.e.s.

Mathilde nous raconte : 

Nous sommes une fratrie de trois, tous avec une vie professionnelle prenante. 

Je suis la seule à être restée dans ma ville d'origine. Notre mère s'est retrouvée veuve il y a quelques années. Bien que pas très âgée, elle a perdu beaucoup d'autonomie car elle se reposait beaucoup sur notre père. Elle n'a jamais conduit par exemple. 

Lorsqu'elle est tombée malade, étant proche de chez elle, j'ai trouvé normal de la soutenir en faisant les courses, en l'accompagnant aux rendez-vous médicaux, en lui remontant le moral...

Avec le temps, la perte d'autonomie s'est accentuée. Aujourd'hui ce n'est plus seulement en semaine que je dois lui dédier du temps, mais aussi les week-ends, au détriment de ma propre famille. 

Du fait de ma proximité j'ai dû prendre en charge de plus en plus de tâches et aussi de responsabilités en termes de décisions à prendre. 

J'aime beaucoup mon frère et ma sœur et nous nous sommes toujours bien entendus. 

Mais cette situation me pèse de plus en plus et, sans oser le leur dire, je trouve qu'ils comptent trop sur moi. L'un ou l'autre pourrait venir passer de temps en temps un week-end, cela me libèrerait un peu de temps. Mais personne ne le propose. 

De même personne ne me demande si je prévois des vacances. 

Mes enfants sont grands, mais mon mari et moi aimerions bien pouvoir partir un peu. 

Nous l'avons fait une fois, mais ma mère angoissée m'appelait plusieurs fois par jour. Tant et si bien que nous avons fini par renoncer à partir.

Je suis l'aînée de la famille. Mon frère et ma sœur sont mes cadets d'une dizaine d'années.  

J'ai toujours pris à ce titre plus de responsabilités. 

J'ai donc l'impression que tout naturellement ils considèrent que c'est à moi de m'occuper de notre mère. Bien sûr ils l'appellent au téléphone, passent quand ils le peuvent, mais ils ne mesurent pas l'impact sur ma vie de l'aide que j'apporte à notre mère. Pour eux tout semble couler de source. 

Et j'ai du mal à le dire, mais ce qui ajoute encore à la charge que je ressens c'est que ma mère semble valoriser ses enfants qui sont loin. Elle leur trouve des excuses, du fait de leur travail et de leur vie familiale. 

Peut-être se rend-elle compte qu'il y a quelque chose d'assez inéquitable dans cette situation. Les justifications qu'elle leur trouve masquent peut-être un sentiment de gêne.

Mon frère et ma sœur lui parlent au téléphone de leurs nombreuses obligations. Elle trouve donc plein de justifications au fait qu'ils ne soient pas très présents. 

Je souffre de plus en plus de cette situation. Mais je n'ose pas le dire. Je les aime tous et je ne veux peiner personne. En même temps ma vie de couple s'en ressent. Mon mari est très compréhensif mais je sens que tout cela lui pèse aussi, même s'il ne me le dit pas. 

Je ne vois pas comment je pourrais sortir de cette situation, maintenant bien installée depuis plusieurs années et qui satisfait tout le monde... sauf moi ! … et mon mari aussi sans doute. 

Une situation fréquente...

Mathilde apportait ce témoignage dans le cadre d'un groupe d'échanges entre aidant.es. 

Dans ce même groupe, deux autres femmes avaient des expériences d'aidantes assez proches de celle de Mathilde. Leurs points communs : être des filles aînées et résider en proximité du proche aidé. 

Contrairement à Mathilde qui est en activité professionnelle, les deux autres aidantes étaient l'une en retraite (Colette), l'autre en situation de chômage (Fanny).

Colette avaient le sentiment que sa sœur considérait en quelque sorte «qu'elle n'avait que ça à faire ». 

Fanny réalisait que son rôle d'aidante compromettait ses chances de retravailler. 

Dans tous les cas nos aidantes «mistigri» s'étaient vu attribuer de fait un rôle d'aidant exclusif qu'elles n'osaient pas remettre en question. 

Dans tous les cas également ces aidantes considéraient normal d'accompagner leur proche et le faisaient par affection. Mais ce qu'elles vivaient mal était le fait d'être assignées à ce rôle par le reste de la famille. Toutes trois prenaient également conscience que, même avec tout l'attachement que chacune portait à sa famille, il y avait dans leurs situations quelque chose de profondément injuste. 

Mathilde, Colette et Fanny sont trois exemples types de ce que nous avons désigné par le nom d'aidant mistigri. Elles se retrouvent avec la carte perdante et se sentent très désemparées, car contrairement au jeu, leur situation est bien réelle et s'inscrit dans la durée, sans perspective de changement.  

Redistribuer les cartes

Si l'on veut garder l'analogie avec le jeu, la seule issue pour les aidant.es mistigri est de redistribuer les cartes. 

Ce n'est pas facile car cela met en cause beaucoup d'états émotionnels :

  • sentiment de culpabilité à vouloir sortir de la situation,
  • conflit de loyauté vis à vis du parent aidé,
  • crainte de ne plus jouer son rôle auprès de la fratrie qui s'appuie sur l'aidant.e,
  • peur de déranger le système familial qui s'est mis en place autour de l'aidant.e,
  • crainte aussi de modifier aux yeux des autres l'image de personne forte et fiable que le rôle d'aidant.e a conforté...

Tous ces sentiments se mélangent et concourent à finalement préférer laisser la situation telle qu'elle est.

Il faut tout un cheminement pour que l'aidant.e mistigri accepte de dépasser ce stade et fasse le choix de remettre en jeu la situation établie. 

Lorsqu'il a accepté le fait qu'il n'y a aucune trahison, aucune traîtrise, aucun manquement à vouloir légitimement choisir sa façon d'être aidant.e, notre mistigri peut alors remettre calmement les choses à plat et entamer avec le reste de la famille un dialogue autour de la façon partagée d'accompagner le proche en perte d'autonomie. 

Aider un proche devient alors aussi une forme d'entraide entre les membres de la famille dans des rôles et des tâches équitablement réparties. Cela peut contribuer à rapprocher la famille au lieu de la diviser dans des conflits qui finissent par éclater. 

Dans un monde idéal, aider devrait être un choix et non une assignation. 

Nous savons que dans la réalité ce n'est pas toujours le cas (Lire notre article Etre ou devenir aidant : dans quelle mesure a-t-on le choix?) mais cela peut au moins être, lorsque les circonstances le permettent, un engagement partagé qui ne s'exerce pas au détriment d'un membre au sein d'une même famille. 

Lire notre série complète «Dans la famille aidants, je demande... » :


ARTICLES N° 132 et 133: La Maison des Aidants® Association Nationale / ANPERE