Cet été qui se termine aura été l'occasion pour quelques aidants de prendre du répit, et même peut-être des vacances. Mais pour la majorité d'entre eux ces notions n'existent guère. Certains toutefois ont profité de l'été pour participer à des ateliers entre aidants, tels que ceux qu'animent la «Maison des Aidants® – Association nationale». Geneviève a accepté de nous apporter son témoignage.


 Genevière, pouvez-vous vous présenter ? 

J'aurai bientôt 74 ans. Je suis aidante de mon mari Gilbert qui vient d'avoir 82 ans et qui est atteint d'une rare maladie neuro-dégénérative, depuis une quinzaine d'années. Enfin je dis que je suis aidante, mais c'est pour moi une découverte récente ! Je ne savais pas que je l'étais jusqu'alors. J'étais là pour lui, un point c'est tout.

 

Pourquoi alors avoir participé à des ateliers pour les aidants ?

Je n'aurais jamais accepté, il y a encore peu de temps de me faire aider. Mais avec le temps qui passe, je me sens fatiguée, parfois au bout du rouleau. Cette proposition tombait à point nommé, à un moment où je réalise aujourd'hui que j'étais en train de glisser.

J'ai profité des congés d'été de mes filles pour leur demander de venir me remplacer auprès de leur père, le temps que je participe aux ateliers. Jamais je n'avais osé les impliquer jusqu'ici. Je cherchais plutôt à les protéger, et à protéger mes petits-enfants, pour que la maladie de Gilbert ne les impacte pas dans leur quotidien.

Mes filles ont accueilli ma décision de participer à ces ateliers comme un scoop ! Elles m'ont encouragée, alors que je craignais de montrer une faiblesse.

 

Pouvez-vous nous parler des ateliers auxquels vous avez participé? 

C'est très difficile à résumer ! J'ai tellement de choses à dire !

D'abord j'ai réalisé que je n'étais pas seule au monde, puisque cinq autres personnes, bien que dans des situations très différentes, avaient en commun avec moi de soutenir un mari, une épouse, un parent ou un fils, selon les cas âgé, malade ou handicapé suite à un accident.

Je m'étais isolée au fil du temps, et le simple fait de me retrouver avec d'autres personnes, rien que pour parler, m'a bouleversée. J'avais envie de pleurer (d'ailleurs j'ai pleuré!), mais c'était étrange : à la fois je pleurais de soulagement de pouvoir parler, de surprise de découvrir que je n'étais pas seule, et puis aussi je dois le dire d'épuisement.

Pour commencer j'ai donc dû surmonter cette épreuve des larmes qui pour moi «trahissaient» ma faiblesse. 


C'est une faiblesse de pleurer ? 

C'en était une pour moi ! On peut pleurer devant un film émouvant, mais surtout pas pleurer sur soi-même ! A-t-on le droit de pleurer sur soi alors qu'on est en bonne santé ? Que c'est la personne aimée qui est malade ?

Depuis bien sûr, j'ai changé de point de vue.

Comment justement en êtes-vous arrivée à changer de point de vue ?

Cela ne s'est pas fait d'un coup de baguette magique ! Mais je dirais que le simple fait, au début de la série d'ateliers, d'écouter les autres participants se présenter, a produit comme une prise de recul.

Et quand mon tour est venu de me présenter et d'exposer ma situation, déjà au fur et à mesure que je parlais, je commençais à me «regarder de l'extérieur». C'était la première fois que je n'avais pas comme l'on a coutume de dire «la tête dans le guidon».

Cela a été le premier déclic, la première amorce de changement. Le premier espoir de sortir du labyrinthe dans lequel je marchais sans fin depuis si longtemps.

  

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Cette prise de recul suffit-elle à «sortir du labyrinthe», puisque vous employez l'image ? Et d'ailleurs pourquoi utilisez-vous ce terme ?

 

Ma réponse à votre première question est non cela ne suffit pas, il faut ensuite creuser, approfondir, échanger, s'interroger etc... C'est le rôle du formateur-animateur de nous y aider au fur et à mesure des ateliers.

Mais en même temps, ce premier déclic est fondamental, car si on ne prend pas ce recul, on ne peut pas aller plus loin.

Et sur le fait que j'utilise l'image du labyrinthe, c'est parce que c'est la première qui m'est venue à l'esprit, lorsque je me suis penchée sur ma vie d'aidante. J'étais tout le temps en train de courir  d'une pièce à l'autre de la maison. J'étais une sorte de hamster toujours affairé qui court d'un compartiment à l'autre de sa maisonnette, et qui n'a pas conscience qu'il est dans une cage. (Geneviève rit à cette évocation – ndlr).

Il faut dire que je dois gérer une véritable entreprise, avec les passages des infirmières, aides à domicile, kiné, podologue etc... sans parler des changements de dernière minute dans les plannings.

Et j'ajoute à cela que j'ai toujours, et c'est une chance que tout le monde n'a pas, mes deux parents nonagénaires qui vivent à leur domicile, et qui restent malgré leur très grand âge, relativement autonomes. Mais cette autonomie est conditionnée par des aides à domicile dont il faut aussi gérer les plannings, les imprévus etc...

Vous comprenez donc que mon emploi du temps est réglé à la minute près !


Votre situation n'a cependant pas changé. Vous êtes toujours aidante de votre époux... et de vos parents ! Qu'est ce qui a changé alors ?

 

Non, fort heureusement ma situation n'a pas changé ! Gilbert est toujours auprès de moi, et j'ai toujours mes parents, dont j'espère qu'ils feront des centenaires !

Et mes journées sont toujours extrêmement remplies !

Ce qui a changé, c'est mon regard sur la situation, sur mon rôle et sur mes limites.

Le changement le plus profond je crois est le fait que j'ai cessé (ou presque) de me culpabiliser si une chose ou l'autre n'est pas faite à la perfection.

J'ai abandonné l'idéal de perfection que je m'étais inconsciemment fixé.

Par exemple :

 

  • je préparais les repas pour mes parents, considérant que puisque je cuisinais de toute façon, faire pour deux ou pour quatre ne changeait rien. Mais compte tenu qu'il me faut mixer depuis un certain temps les repas de Gilbert, et qu'il faut apporter le repas à mes parents, même s'ils habitent tout près, j'ai renoncé. Les repas du service de portage à domicile sont sans doute moins bons que mes petits plats, mais pour compenser, on fait un repas familial le dimanche chez moi.

 

  • Je mettais un point d'honneur à ce que Gilbert soit toujours bien habillé, comme il l'était avant. J'ai opté aujourd'hui pour des vêtements faciles à enfiler. Ils sont moins élégants, mais confortables et j'ai ainsi éliminé le repassage.

 

  • Je rasais Gilbert tous les matins. Je lui laisse aujourd'hui porter une barbe courte. Et cela lui va très bien !

 

  • Je ne voulais pas utiliser la totalité des heures d'aide accordées dans le cadre de l'APA*, car il y a un reste à charge sur chaque heure utilisée. En faisant moi-même de nombreuses tâches, j'économisais donc un budget mis de côté pour me sécuriser.

            J'ai réalisé que ce n'était pas un bon calcul. Car si ma propre santé est défaillante, cet argent       ne la remplacera pas! J'ai donc lâché ma crainte de manquer, et j'utilise désormais toutes les heures disponibles, en assurant le reste à charge...

 

* Allocation personnalisée d'autonomie

 

Dans notre prochain article, Geneviève livrera la suite de son témoignage, et ce sera l'occasion de comprendre les enjeux que représente l'accompagnement des aidants, aujourd'hui encore trop peu pris en compte.

 

ARTICLES N° 89 et N° 90: La Maison des Aidants® Association Nationale / ANPERE