ANPERE
Nous le rappelons sans cesse lorsque nous parlons des aidants : chaque personne, aidant ou aidé, est différente, chaque situation est unique, chaque ressenti est personnel, subjectif…
Cependant, des lignes de force se dégagent, communes parfois à tous les aidants, d'autres fois à des typologies d'aidants.
Selon vous, les aidants de malade d'Alzheimer constituent-ils une typologie spécifique ?
Pascal Jannot
Il y a un tronc commun dans l'accompagnement de malades atteints de maladies neurodégénératives, notamment celles induisant des troubles cognitifs ou de la mémoire.
Mais la particularité de la maladie d'Alzheimer requiert de la part de l'entourage, et notamment de l'aidant principal, un ensemble de compétences et d'adaptabilité sans commune mesure avec l'aide apportée pour d'autres types de maladie.
Parmi l'ensemble des aidants, ceux qui accompagnent un malade d'Alzheimer ont à moyen/long terme potentiellement le rôle le plus épuisant, d'autant que la plupart du temps, ils cohabitent avec le proche malade.
Dans ce sens, oui, les aidants de malades d'Alzheimer constituent une typologie spécifique.
A
Compte tenu de cette spécificité, les pouvoirs publics soutiennent-ils davantage cette catégorie d'aidants ?
PJ
Depuis plus de 20 ans, des dispositifs particuliers ont été mis en place par les pouvoirs publics conduisant notamment à la précocité du diagnostic, à la cohérence des parcours de soins, à l'aide aux aidants par la formation, l'accompagnement psycho-social, les solutions de répit etc...
Cependant, la couverture du territoire est inégale en matière de dispositifs spécialisés dans la prise en charge de la maladie : assez nombreux sont les Ehpad acceptant les malades, mais beaucoup plus rares sont les structures d'accueil spécialisées.
Venus des Pays-Bas, les villages Alzheimer sont un concept très performant de prise en charge des malades… mais ils restent exceptionnels (un dans les Landes et un en projet en Bretagne).
En outre, malgré les dispositifs dédiés, les proches du malade restent souvent sidérés par l'annonce de la maladie et peuvent avoir du mal à réaliser le processus qui inéluctablement va se développer.
Ils peuvent donc être soit réticents à accepter de l'aide, soit pas réceptifs du tout à la notion de besoin d'aide…
A
Justement, quels sont les risques particuliers propres à l'aidant de malade d'Alzheimer ?
PJ
Vous avez raison de parler de risques pour l'aidant.
La maladie est évolutive, allant de quelques troubles, parfois fugaces au départ, vers des comportements imprévisibles, parfois agressifs et à risques pour le malade et pour l'aidant.
Il est donc difficile au départ de se projeter vers ce que va être la maladie dans son évolution.
D'un bout à l'autre du développement pathologique, le parcours de l'aidant est une succession de paliers (avec parfois l'impression trompeuse d'amélioration). Ce processus conduit l'aidant à faire face sans réaliser que l'étape suivante sera plus difficile.
Cette adaptation permanente qui se fait sans que l'aidant en prenne conscience constitue le risque majeur.
Si l'on ajoute que très souvent malade et aidant cohabitent, ce dernier va à un certain stade de la maladie être mobilisé à 100 %, jour et nuit.
Le risque d'épuisement, voire de décès prématuré de l'aidant est alors réel.
A
C'est un tableau assez sombre… Peut-on éviter ce risque ?
PJ
Comme tous les risques, on peut bien sûr chercher à le prévenir, même si tout n'est pas simple.
En premier lieu, rappelons que le point de départ est le diagnostic médical. Le médecin traitant est le premier référent qui orientera vers une prise en charge cohérente.
Le premier conseil à donner à l'aidant, ou à l'entourage de l'aidant parfois moins impliqué émotionnellement que l'aidant lui-même, c'est de consulter dès les premiers signes de troubles.
Si le diagnostic est posé, le proche aidant et/ou l'entourage peuvent alors prendre contact avec l'association France-Alzheimer la plus proche.
Avec l'aide de professionnels et de bénévoles expérimentés, l'aidant qui entame son parcours pourra :
- se former pour connaître et comprendre la maladie,
- apprendre les savoir-être et les savoir-faire adaptés,
- mieux accepter l'idée que la maladie est inexorablement évolutive et qu'un jour par exemple son proche ne le reconnaîtra plus,
- évaluer les risques de son rôle et en déterminer les limites,
- ne pas se sentir seul, et ceci est très important.
Les aidants qui abordent le mieux leur rôle auprès d'un malade d'Alzheimer sont sans aucun doute ceux qui parviennent, avec l'aide de l'entourage amical ou familial, et le support d'une association de proximité, à élaborer un véritable plan d'action sur le long terme.
Ce sont ceux qui plutôt que d'aller au-delà de leurs forces vont assez tôt accepter de déléguer l'aide aux actes de la vie quotidienne à des professionnels, et conserver leur temps et leur énergie pour continuer à aimer, accompagner, stimuler leur proche.
A
L'entrée en établissement est-elle inévitable ?
PJ
Je crois qu'il ne faut pas voir l'entrée en établissement comme le spectre à repousser, à retarder ou à éviter ou à tout prix.
Dans l'absolu, rester à domicile n'est pas impossible, mais implique des moyens que la plupart des familles n'ont pas : sécurisation du domicile, personnel nombreux pour couvrir 24 heures par jour…
Il se pose donc d'emblée un obstacle économique pour la grande majorité des personnes.
Vouloir garder le malade à domicile à tout prix en pensant que l'on va assurer est, selon mon expérience, illusoire la plupart du temps.
Contrairement à l'aidant d'une personne âgée sans pathologie grave qui souhaite légitimement lui permettre de finir ses jours à domicile, l'aide que requiert un malade d'Alzheimer rend la situation de l'aidant de plus en plus précaire : fatigue et stress favorise la survenue d'un accident sous une forme ou sous une autre, touchant l'aidant ou l'aidé.
Qu'advienne une maladie ou une hospitalisation de l'aidant et l'entrée du malade en établissement sera précipitée, non préparée et finalement traumatisante pour tout le monde.
L'accompagnement à domicile du malade pose à un moment ou à un autre la question des limites et de la protection de l'aidant.
L'entourage de l'aidant doit veiller aux signaux d'alerte et ne pas attendre l'événement déclencheur qui peut précipiter les choses.
S'il existe une fratrie par exemple, on ne peut que conseiller une réflexion précoce en famille sur l'entrée en établissement. Il vaut mieux un accueil en établissement bien préparé et avant que les limites de l'aidant principal ne soient dépassées, plutôt qu'après dans l'urgence et l'affolement.
A
Si vous deviez résumer en trois mots les conseils que l'on peut donner à un aidant de malade d'Alzheimer, quels seraient-ils ?
PJ
Il est difficile de résumer en trois mots ce qui constitue tout un parcours d'accompagnement de l'aidant, mais si je dois indiquer trois mots-clefs à retenir, ce sont :
- Se former, car il est capital de comprendre la maladie et d'apprendre les savoir-être pour y faire face,
- S'entourer, car un aidant qui est épaulé aura une bien meilleure gestion de son rôle.
- Accepter de déléguer des tâches en faisant appel à des services à domicile, car l'économie de temps, de stress, d'énergie pour l'aidant est fondamentale pour aider sereinement dans la durée.
A
Le mot de la fin ?
PJ
« À l'impossible, nul n'est tenu » dit le proverbe.
On peut, par amour pour son conjoint ou son parent, être tenté de faire l'impossible.
Mais ce n'est pas en sacrifiant sa propre santé que l'aidant est le mieux à même de bien accompagner son proche.
Accepter d'emblée ses limites humaines est la meilleure façon d'aider, car on reste disponible pour chérir son proche jusqu'au bout, en lui assurant un accompagnement affectueux, bienveillant et tolérant face aux manifestations déstabilisantes de la maladie.
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ARTICLES N° 141 et 142 : La Maison des Aidants® Association Nationale / ANPERE